Geoffroy Martin, expert en AdTech, décrypte les grands enjeux liés à la fin des cookies tiers et les défis à venir pour les professionnels de la publicité.
Geoffroy Martin, CEO d’Ogury, est à la tête d’Ogury, une entreprise spécialisée en publicité personnifiée basée sur des données exclusives et qui se veut respectueuse de la vie privée. Ogury s’est développé à l’international avec plus de 500 collaborateurs, répartis dans 17 pays.
Google a commencé à tester la fin des cookies tiers sur Chrome depuis début janvier. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Effectivement, ce 4 janvier, Google a commencé le déploiement de la Privacy Sandbox et a supprimé les cookies tiers pour 1 % des utilisateurs de son navigateur Chrome. Il ne faut pas se laisser leurrer par le « 1 % » mentionné dans cette annonce : cette suppression des cookies devrait progressivement être effective pour l’ensemble des utilisateurs d’ici la fin de l’année. Quant à ceux qui espèrent un énième report de la part de Google, cela reste peu probable : la vague de la vie privée est inarrêtable et a commencé bien avant l’annonce de Google.
En termes d’impact, on parle là d’un tournant décisif en matière de protection de la vie privée des consommateurs, et d’une révolution qui va rebattre les cartes de tout un secteur porteur de croissance et d’emplois.
Courant 2023, nous avons collaboré avec le cabinet IDC pour interroger 1000 dirigeants de grandes marques et d’agences médias. Selon notre enquête, plus de la moitié des répondants (60 %) considéraient le suivi des utilisateurs comme une source de risque pour la réputation des marques. Pourtant, 41 % des personnes interrogées admettaient ne connaître que modérément, voire pas du tout, les méthodes de ciblage autres que celles qui reposent sur les identifiants tels que les cookies. Cela montre le manque de préparation du marché face à cette révolution.
Pourquoi évoquez-vous « un tournant décisif pour la protection de la vie privée des consommateurs » ?
Tout d’abord, partons d’un constat : sans publicité, il n’y pas d’internet gratuit. La publicité digitale va donc continuer d’exister, et les marques vont continuer à investir massivement dans la publicité en ligne. Or les acteurs qui opèrent sur ce marché font face à des challenges inédits.
La fin des cookies tiers représente un challenge technologique majeur, mais il est la conséquence d’un mouvement de fond visant à protéger la vie privée des consommateurs.
Cette vague a commencé à émerger dans l’opinion publique, en France notamment, avec le RGPD. Lors de son entrée en vigueur en 2018, de nombreux consommateurs n’avaient aucune conscience de comment les entreprises utilisaient leurs données personnelles. Aujourd’hui, ces mêmes consommateurs sont de plus en plus sensibles à ce sujet. Selon un rapport de la CNIL de mai 2023, la majorité des français donne encore son accord aux cookies, mais le taux de refus est passé de 22 à 39 % en deux ans et demi, et ne fera qu’augmenter. C’est pourquoi nous disons que la vague de la vie privée est inarrêtable, et fait suite à une évolution profonde, aussi éthique que technologique.
Selon vous, quels sont les points clés nécessaires pour un « monde post-cookies » qui fonctionne ?
Tout d’abord, il faut reconnaître que le secteur a navigué d’une tendance à l’autre ces dernières années, avec l’émergence de modes tels que le metaverse, les NFT, ou bien entendu l’IA générative. Il faut bien comprendre que ce « monde post-cookies » n’est pas une énième tendance, mais une lame de fond. Et il n’est plus possible aujourd’hui de reporter cette prise de conscience.
Pour les annonceurs, cela suppose d’évaluer objectivement leurs solutions actuelles et de comprendre comment ils peuvent les améliorer, à travers des partenaires qui n’ont pas attendu l’annonce de Google pour tester et prouver l’efficacité de leurs technologies. Quant à ces fournisseurs de technologies, il est urgent pour eux d’acter que de continuer à utiliser des identifiants publicitaires n’est pas pérenne. En réalité, cette approche court-termiste représente encore une part importante du marché, car les cookies sont toujours disponibles sur Chrome (rappelez-vous, seulement 1 % des utilisateurs sont passés en cookieless au 4 janvier) et les identifiants au sein des applications sont toujours accessibles, notamment sur Android.
Quels seront les défis pour les professionnels de la publicité en 2024 ? Quelles alternatives s’offrent à eux ?
Plusieurs types de technologies émergent depuis quelques années, notamment des solutions basées sur des identifiants partagés, au sein de micro écosystèmes. Or comme on l’a vu, les consommateurs sont de plus en plus réticents à l’idée de donner leur consentement à des fins publicitaires. Par ailleurs, il est peu probable que l’ensemble des acteurs du secteur parviennent à s’accorder sur un seul et même standard en la matière.
D’autres solutions telles que le ciblage contextuel sont respectueuses de la vie privée, mais extrêmement limitées en termes de reach. L’exemple classique étant : vous consultez la rubrique cyclisme de L’Équipe, on vous propose une publicité pour un vélo électrique. Vous admettrez que cette possibilité de ciblage est assez basique et limitée. Un individu possède plusieurs centres d’intérêt et ne visite pas forcément des sites qui y sont liés : vous pouvez par exemple être fan de randonnée, ou vouloir acheter un nouveau vélo, sans pour autant vous rendre sur des sites dédiés.
Imaginez une marque internationale tenter de cibler 200 000 consommateurs potentiels avec des méthodes de ciblage aussi limitées. On comprend donc les craintes des annonceurs face à la disparition des identifiants. Il existe pourtant des technologies qui permettent de contrer ces limitations. C’est ce que nous avons développé avec la publicité personnifiée, qui cible des personas – et non des personnes – au niveau de la page qu’ils consultent – non au niveau individuel. Ce data model unique basé sur plusieurs sources de données propriétaires, dont des enquêtes diffusées directement aux consommateurs à travers un réseau de partenaires éditeurs, permet un ciblage pertinent à grande échelle, sans recourir aux traceurs publicitaires tels que les cookies.